Caravansérail de l’humanité
La création du spectacle ‘Vangelo’ par Pippo Delbono et sa troupe au Théâtre de Vidy à Lausanne est un moment bouleversant. Delbono propose une mise en abime de nos certitudes, pour mieux faire naître « la musique de la liberté ».
Pippo Delbono, immense figure du théâtre contemporain, livre un spectacle qui se déroule comme dans une arène, comme un toréador devant l’idée de la divinité. Sa fougue est la cape rouge qui déjoue les assauts de nos croyances. Il hurle, danse, susurre, chante, caresse, saute, jubile, et jamais ne tombe dans la séduction facile.
Autour de lui, 13 personnages composent un caravansérail de l’humanité. Ecorchés vifs de la vie, laissés pour compte par la ‘normalité’, ils composent une fresque toujours en mouvement. Du coup, ce n’est plus Delbono que l’on voit, mais le théâtre dans toute son essence, dans sa capacité à nous faire vivre intensément le présent.
Parmi les scènes les plus mémorables, le minuscule Bobò, 80 ans passés, sourd-muet et analphabète, rend la réplique à Pippo par un simple balancement de son corps. Rencontré lors d’un séjour de l’homme de théâtre en hôpital psychiatrique, il apparaît dans les spectacles de Delbono depuis 20 ans.
Dans une robe en dentelle assis au milieu d’un grand lit, le trisomique Mario Intruglio ajoute une note de poésie fragile au spectacle. Nelson Lariccia, dans l’incarnation d’un Christ émacié, est amené sur scène par Delbona qui le guide délicatement par la main.
Il fallait un Italien pour réussir ce mélange entre provocation et l’esthétique des sentiments. Alors que son compatriote Romeo Castelluci, dont les spectacles se succèdent dans ce même Thèâtre de Vidy, nous emmène dans les limbes de nos pensées, Delbono fait parler les tripes.
Il y a assez de tendresse dans ‘Vangelo’ pour déplacer une montagne. Digne successeur de Dario Fo, le théâtre de Pippo Delbono est profondément politique. Pendant que déferlent sur un écran les images d’une eau au milieu de l’océan, un jeune homme Afghan monte sur scène pour décrire le voyage périlleux qui l’a déposé en Occident, et la perte par noyade sur le chemin, de son meilleur ami.
Tout est parti de la mort de la mère de Delbono, fervente catholique, qui lui a soufflé avant le grand départ : « Pippo, pourquoi ne ferais-tu pas un spectacle sur l’Evangile ? Tu enverrais ainsi un message d’amour. On en a tellement besoin, de nos jours. »
Le spectacle ‘Vangelo’ a été créé le 16 janvier au Théâtre de Vidy, où il a été donné 5 fois.
Il se produit ensuite à Rome, Modena, Bologna et Cattolica.