Ne pas s’y tromper: une thématique à priori confidentielle donne lieu à événement d’une beauté populaire insensée. Aucune image, aucune affiche, critique, ni discours ne peut communiquer l’extrême enchantement qui attend le visiteur de l’exposition Diderot à la Fondation de l’Hermitage à Lausanne.
Alors que les célébrations du tricentenaire de la naissance de Jean-Jacques Rousseau, l’ainé de Diderot (1713-1784) d’une année, ont fini par nous assommer, celle liée aux œuvres commentées de son vivant par ce savant encyclopédiste et critique d’art déroute et charme.
En s’ouvrant à un des grands esprits du Siècle des lumières dont elle nous fait partager la curiosité, la causticité et la volupté, la Fondation de Hermitage trouve un stratagème imparable pour réconcilier l’art avec le beau. Bien entendu, la grandiloquence encore discrète et la sensualité désinhibée des artistes français du 18ème Siècle a fait le bonheur des commissaires de l’exposition.
Le résultat est stupéfiant de grâce et de légèreté, surtout quand un rayon de soleil s’invite par les grandes fenêtres de l’Hermitage.
Alors qu’un rassemblement d’œuvres aussi admirables les unes que les autres aurait pu provoquer un effet étouffant, ici nous sommes en présence de notes de musique qui se répondent de mur en mur, et de sculptures arrangées dans une chorégraphie symphonique.
Et pourtant, un piège nous attend. Dès les premières salles, le choc des émotions devant des œuvres sublimes se confronte à l’avis souvent cruel de Diderot. Il critique l’invraisemblance d’une délicieuse scénette où la mariée n’est pas encore décidée à rejoindre le lit nuptial et adresse une remontrance à Nardin de ne pas avoir su peindre ses propres enfants.
En revanche, il voue au peintre Chardin et au sculpteur Falconet un amour au-delà de la raison.
Etienne Maurice Falconet, Milon de Crotone (détail), 1754, marbre, 68,8,5 x 64,9 x 51,2 cm, Musée du Louvre, Paris © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Pierre Philibert
Dans les sculptures d’Etienne- Maurice Falconet et Jean-Baptiste Pigalle le regard renaît dans l’éclat de blancheur du marbre qui porte des corps en souffrance ou en extase. « Non ce n’est pas du marbre. Appuyez-y votre doigt, et la matière qui a perdu sa dureté, cédera à votre impression », invite Diderot.
Dans les peintures de Jean-Siméon Chardin on trouve « des couches épaisses de couleur, appliquées les unes sur les autres et dont l’effet transpire de dessous en dessus. D’autres fois on dirait que c’est une vapeur qu’on a soufflée sur la toile : ailleurs une écume légère qu’on y a jettée… Approchez, tout se brouille, s’aplatit et disparaît. Eloignez-vous, tout se crée et se reproduit.»
Qui était cet homme au carrefour de tant de croyances philosophiques ? Quelle était sa pensée au-delà des convenances et de l’entendu. L’exposition apport des réponses qui rendent perplexes autant qu’elles ne nous rassurent.
C’est le comédien Jean-Luc Borgeat qui prête sa voix savoureuse aux mots de Diderot livrés par audio guide interposé.
LE GOÛT DE DIDEROT
GREUZE, CHARDIN, FALCONET, DAVID…
Du 7 février au 1er juin 2014
Fondation de l’Hermitage
Le commissariat général de l’exposition est assuré par Michel Hilaire, Conservateur général du patrimoine, Directeur du musée Fabre, Sylvie Wuhrmann, Directrice de la Fondation de l’Hermitage et Olivier Zeder, Conservateur en chef du patrimoine, chargé des collections anciennes au musée Fabre.