La ville de Genève serait une des premières villes au monde à s’être dotée d’un dispositif de Protection des biens culturels et d’une berce équipée pour faire face à des situations d’urgence. swissinfo.ch a voulu en savoir plus.
Article publié dans swissinfo.ch le 23 décembre 2015: LIEN FR
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Sur une aire en retrait de la frénésie genevoise, un containeur rouge flambant neuf attend l’alerte : dans des situations d’urgence, il est transporté rapidement sur place et devient opérationnel en quelques secondes. Il suffit d’ouvrir ses volets et l’espace équipé de 6m sur 2.5m se transforme en un centre mobile pour le sauvetage ou la réparation de biens culturels.
Lorsque des incendies, inondations, actes terroristes ou tremblements de terre mettent en péril des biens culturels, comme des manuscrits, éditions originales ou œuvres d’art, le temps est compté pour éviter l’irréparable. Pour faire face à une telle éventualité, Genève s’est dotée d’une berce qui peut être rapidement déployée sur place avec tout le matériel nécessaire.
Equipée d’avance avec des ventilateurs, aspirateurs à filtre, hygromètres, éponges naturelles et même des pinceaux en poils de chèvre, le container fournit les outils nécessaires pour une évacuation ordonnée de zones à risques ou pour figer les sinistres sur place. Récemment inaugurée par la Ville de Genève, la berce n’a pas encore été utilisée.
« Nous avons dépensé beaucoup d’efforts et d’argent pour créer un outil qui, dans l’idéal, ne devrait jamais servir », s’amuse Nelly Cauliez, Conservatrice responsable de la conservation de la Bibliothèque de Genève. Elle a orchestré la création de la berce de concert avec les autorités politiques de la Ville et la collaboration des responsables et conservateurs des autres institutions genevoises, ainsi que les services de sécurité publique.
Genève serait donc la première instance à initier un plan d’action concret avec support mobile. Une initiative par le comité français du Bouclier Bleu international, qui consisterait à équiper un bibliobus de la même manière, n’a pas encore abouti.
Nelly Cauliez, Conservatrice Bibliothèque de Genève. qui a coordonné la création de la berce
Un réveil brutal
« Ce projet ne s’est cependant pas réalisé du jour au lendemain », prévient Cauliez. Les évaluations approfondies qui ont eu lieu en 2007 et 2011 pour déterminer les déficiences climatiques et sécuritaires des Bibliothèques de Genève ont permis toute une série d’ajustements et rectificatifs. En revanche, le plan d’évacuation élaboré par l’experte Chantal Karli n’avait pas encore été testé.
La destruction de plus d’un millier d’ouvrages lors d’un incendie dans l’ancienne Ecole de chimie de l‘Université de Genève en 2008 avait entretemps servi de détonateur pour accélérer les processus. « L’événement était dramatique, mais positif pour une prise de conscience », indique Nelly Cauliez.
50’000 ouvrages ont dû être évacués lors de l’incendie de l’ancienne Ecole de chimie de l’Université de Genève
(c) 2008 Office protection civile Ville de Genève
SAUVER LES OEUVRES EN PAPIER
Medium fragile par excellence, le papier attaqué par l’eau exige des mesures de sauvetage immédiates :
Congélation
Une œuvre en papier peut être sauvée de dommages irréversibles dus à l’eau (lances de pompiers ou ruptures de canalisations) si sa congélation est assurée dans les 24/48 heures. Celle-ci doit rapidement atteindre -30 C degrés afin d’éviter la formation de cristaux et la lésion des cellules. Son stockage peut ensuite être assuré à une température de stabilisation de -18 degrés C.
Lyophilisation
Ce processus permet d’éliminer l’eau contenue dans des objets congelés jusqu’à leur complété dessiccation.
Le séchage naturel
Dans le cas d’atteintes légères, des ventilateurs basse tension peuvent être utilisés afin d’éviter que le papier ne gondole.
Dès 2009, la Ville de Genève adoptait un concept de protection des biens culturels (PBC) pour protéger les institutions sous son aile, dont le musée de céramique Ariana, les Conservatoire et jardin botaniques, le Musée d’histoire naturelle, le Musée d’ethnographie, les archives, bibliothèques, ainsi que le Musée d’art et d’histoire, chacune avec des besoins spécifiques en matière de protection du contenu.
« Nous avons compris la nécessité de mutualiser le matériel et d’homogénéiser les pratiques, et nous avons surtout constaté le besoin de former le personnel. De mauvaises manipulations peuvent endommager les biens davantage que les désastres eux-mêmes. »
Cauliez a donc été chargée de mettre en oeuvre le plan d’urgence avec une feuille de route détaillée en prenant les Bibliothèques de Genève comme terrain d’essai. « Des plans d’urgence jamais testés, il y en a des tonnes » précise-t-elle.
Afin d’accélérer le processus, tous les services potentiellement concernés ont été associés dès le départ à l’élaboration du plan, et surtout ceux de l’incendie et de la sécurité publique.
Un test en temps réel
Une préparation intensive de 6 mois a permis de déclencher une alerte surprise en novembre 2012. C’est ainsi que 218 personnes et 40 véhicules se sont trouvés à bloquer deux artères genevoises afin de sauver les biens culturels.
Pour préserver l’aspect test de l’exercice, de nombreuses personnes sur place n’avaient pas été prévenues qu’il s’agissait d’un essai.
Suivant un protocole bien défini, les personnes sur place sont d’abord évacuées et l’environnement est stabilisé. Une chaine d’appel est alors lancée et les experts sont sollicités pour déterminer l’hiérarchie d’intervention ou d’évacuation. Ils se posent les questions suivantes : « L’œuvre est-elle microfilmée » ; « Quelle est sa valeur patrimoniale ». Selon la gravité des dommages et de l’importance de l’ouvrage, des mesures de sauvetage sont rapidement mises en place.
Globalement réussi, le test de novembre 2012 avait cependant révélé la nécessité d’intervenir plus rapidement pour limiter les dommages.
« Nous avons constaté que nous étions bien équipés, mais que le matériel était dispersé à droite et à gauche, donc difficile à trouver dans l’urgence. »
Ancienne responsable du pôle restauration des Archives nationales de France (et la plus jeune à avoir obtenu le titre de ‘Chef de travaux d’art’), les connaissances pointues de Nelly Cauliez ont permis d’équiper la berce avec l’équipement nécessaire.
« Le processus est cependant évolutif , dit-elle en indiquant les étagères encore vides, car chaque institution a des besoins spécifiques auxquels le PBC est censé répondre. »
Les musées, par exemple, doivent mettre en place des mesures adaptées aux objets qu’ils contiennent : peintures et sculptures pour les beaux arts, céramiques précieuses dans le cas de l’Ariana. La Berce contient déjà du matériel adapté aux grands formats, comme des diables, des ventouses et des couvertures sans composantes chimiques, mais l’équipement sera progressivement complété.
Recette du succès : l’esprit de collaboration
Cauliez s’explique le succès du programme par le fait que les institutions patrimoniales collaborent. « En Suisse, on pense de manière collaborative et le bien culturel fait partie de cette réflexion, » indique-t-elle, en précisant qu’elle n’avait pas connu une telle dynamique en France.
Lorsqu’une demande de crédit extraordinaire de CHF113,000 pour l’acquisition de la berce, y compris CHF33,000 pour le matériel, a été présentée au Conseil municipal de la Ville de Genève, le crédit a été immédiatement voté.
« C’était une grande surprise, car il n’y a même pas eu de discussion », indique Martine Koelliker, Directrice adjointe du Département de la culture et du sport (DCS). En qualité de présidente du PBC, elle avait maintenu une certaine pression pour encourager tous les partenaires à collaborer.
« La majorité des institutions culturelles se trouvent à la Ville et nous assumons notre rôle. Nous attachons une grande importance à la culture et c’est par cela que la dynamique prend. »
PREVENIR LA DISPARITION DES SITES CULTURELS
Par le biais du ‘Million image database’ établie conjointement par les universités de Harvard et Oxford, ainsi que le Musée du future de Dubai, The Institute for Digital Archaeology (IDA) prévoit la restitution en 3D des sites archéologiques disparus. En prévision de cause, des photos de sites en péril sont prises clandestinement dès à présent.
La région du Moyen Orient contrôlé depuis juillet 2015 par Daech est particulièrement riche en sites d’importance culturelle recensés par l’UNESCO, et qui subissent des destructions systématiques, dont le site de Palmyre.